Trois livres sur les chrétiens et l’Église d’Algérie

Comme le rapportent Jean-Robert Henry et Abderrahmane Moussaoui, les auteurs de L’Eglise et les chrétiens dans l’Algérie indépendante[1], le premier ouvrage est le fruit d’un projet parti simultanément des deux rives de la Méditerranée. À Alger, Pierre Chaulet, chrétien d’Algérie engagé aux côtés des Algériens, avait eu l’idée de recueillir les mémoires de chrétiens du pays, religieux ou laïcs, à l’occasion du cinquantenaire de l’Indépendance. À la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme d’Aix-en-Provence, des universitaires souhaite faire une place à l’histoire orale de cette Église, mais aussi aux études de textes et d’archives, confiées à des chercheurs algériens et français. En raison du décès prématuré de Pierre Chaulet, les deux projets se fondirent en un seul, qui commença par un recueil ambitieux de témoignages, réalisés pour une grande part en Algérie par Bernard Tramier, prêtre diocésain, et Barkahoum Ferhati, anthropologue. À partir de 2013, Mgr Teissier s’engagea pleinement dans l’entreprise, moins comme responsable ecclésiastique ou théologien, que comme intellectuel et arabisant de haut niveau, et apporta à la constitution du corpus d’enquête le soutien de ses très riches réseaux. Il en résulte cette « somme » à laquelle contribuent plus de trente personnes dont une dizaine de chercheurs algériens.

Une vraie réussite organisée en trois parties (L’Eglise catholique dans l’Algérie nouvelle, L’Eglise d’Algérie par ses acteurs et ses témoins, et Figures. Cette dernière nous livre non seulement le portrait de trois évêques : le cardinal Duval, le père Scotto et Pierre Claverie, et des réflexions sur la béatification des dix-neuf victimes religieuses de la crise des années 1990, mais encore une ouverture sur les frères et sœurs protestants : frères de Taizé, sœurs de Grandchamp, CIMADE, Eglise réformée… Rémi Caucanas a été le ,maître d’œuvre de la deuxième partie qui « donne voix aux voies » tracées par les cinquante-sept personnes dont les récits et témoignages ont été recueillis. Cet ensemble permet d’approcher la dimension humaine et la variété du « monde social » de cette Eglise. Mais tant l’introduction à deux voix que les « six jalons d’une réflexion doctrinale sur la place de l’Eglise » du chapitre 1 nous permettent de prendre du recul sur ce « vécu » partagé et de comprendre combien est essentiel à l’Eglise universelle le témoignage de cette Eglise minoritaire vivant en pays musulman et que Mgr Teissier définit lui-même comme « l’Eglise d’un peuple musulman » (pp. 77-86).

Le deuxième ouvrage est le fruit d’une retraite prêchée à Tibhirine par son auteur, le P. Christian Salenson. Il s’interroge sur la signification du martyre et de la béatification des dix-neuf religieux martyrs assassinés entre 1994 et 1996. A partir de ce qu’il qualifie de « martyre de l’amour » à propos de personnes certes saintes, mais dont il ne faut surtout pas oublier qu’elles sont également des êtres fragiles, il consacre de très belles pages à cette Eglise « révélée par les martyrs d’Algérie » mais dont on comprend peu à peu que grande est la place des Algériens qui révèlent progressivement à l’Eglise elle-même ce qu’elle est. « L’Eglise est l’Eglise d’Algérie et le restera tant qu’elle sera en dépendance de ce peuple. La précarité l’aide à se tenir dans cette posture. Elle se reçoit de son Seigneur dans et à travers le peuple qu’elle entend aimer et servir » (p. 45). Cela est superbement souligné dans le quatrième entretien consacré à Mohammed Bouchikhi, ami fidèle de Pierre Claverie : tous deux ont vécu un martyre d’amour. Comme Mohammed Belkacem et Christian de Chergé ! N’y a-t-il pas là, d’une façon que Dieu seul connait, une association au mystère pascal du Christ ? Ainsi l’Eglise est-elle invitée à être une Eglise de l’espérance, habitée d’une formidable confiance en la capacité créatrice que porte en elle cette vertu théologale. D’autres belles pages sont consacrées aux questions du dialogue de salut, de la conversion et du prosélytisme, de la fraternité. Le dernier entretien est une méditation sur l’Eglise d’Algérie en mission et, par ricochet, sur l’Eglise. Cette dernière doit être en sortie, en visitation, sur les fractures, se souvenant que « le temps de la mission est le temps de Dieu ».

Quant au troisième livre, deuxième volume des écrits de Tibhirine, il présente des écrits des sept moines assassinés rassemblés par Marie-Dominique Minassian sous forme d’un « diaire de la vie lucide selon les frères de Tibhirine » à qui pourrait être donné le titre d’une nouvelle béatitude : « Heureux ceux qui se donnent car la vie donnée est plus forte que la mort ». Ainsi frère Célestin écrivait dès 1989 : « L’homme est appelé à faire surgir un autre monde, celui de l’amour. Ce faisant, il participe à une réalité indestructible, car elle est participation à Dieu lui-même. Elle est don gratuit de son amour ». Nous comprenons mieux, comme le rapporte Frère Christophe en 1990, qu’être moine, c’est rester « en tenue de service, en tenue d’humble et vraie humanité, c’est la tenue des martyrs : prêt à servir jusque-là… jusqu’au bout » car l’urgence de toute vie est la disponibilité à l’autre. Aussi, quelques semaines avant son enlèvement, frère Christian écrivait : « Notre voie (târiqa) à la suite plus rapprochée du Christ est donc « un chemin joyeux vers la plénitude de l’amour ». Et c’est par là même un chemin d’INCARNATION empruntant toutes les conditions d’humanité que le Christ a lui-même connues : rien de l’homme ne lui a été étranger, hormis le péché dont il nous a dit qu’il n’est pas de l’homme, qu’il n’appartient pas à l’image et à la ressemblance ». Laissons au Père Bruno Chenu le mot de fin écrit dans LA CROIX du 28 mai 1996 : « Ils ont dressé à mains nues le rempart de l’humain devant le déferlement de l’inhumain. Ils ont les paroles de la vie éternelle ».

Vincent Feroldi

[1] In Liberté, 9 décembre 2020, « Henri Teissier, “grand témoin” de l’Église d’Algérie ».

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