Nayla Tabbara (avec Marie Malzac), L’islam pensé par une femme

Théologienne musulmane libanaise et vice-présidente fondatrice de l’ONG Adyan, Nayla Tabbara propose une nouvelle approche de l’islam, faisant droit à la spiritualité et à la part féminine de la raison et de la sensibilité…

L’auteure souhaite se démarquer d’une lecture patriarcale de la religion musulmane et, pour cela, veut ramener au premier plan les principes de base de l’inclusion, de l’accueil et de la miséricorde. En effet, refusant un islam suprémaciste, voire despotique, et porteur de jugement sur les personnes « autres », elle désire en tant que musulmane transmettre le message d’une inclusivité partagée dans la foi en un Dieu de miséricorde. Elle estime ainsi que, pour sortir de la crise dans laquelle l’islam se trouve aujourd’hui, il faut activer simultanément trois pôles : la spiritualité, la pensée critique et l’action sociale.

Dans les premiers chapitres, elle parle de Dieu qui est au-delà du genre et de nos conceptions. Ce Dieu de Beauté et de Majesté « est non seulement unique, mais aussi plein de miséricorde et proche de ses créatures ». Mais, liée à la tradition soufie, Nayla Tabbara souligne qu’il y a un lien entre notre perception de Dieu et notre perception de nous-mêmes : « Tout comme nous sommes invités à libérer le divin des conceptions et des images que nous en faisons, nous sommes aussi invités à nous libérer des conceptions que nous nous faisons de nous-mêmes » (p. 28).

Ne voulant pas réduire l’islam à des pratiques, l’auteure promeut beaucoup des valeurs de base comme « la miséricorde, la générosité, la gratuité, la patience, l’endurance et la sincérité » (p. 31) et « une relation avec le divin fondée sur la confiance et la proximité et non une relation de peur ou de marchandage » (p. 32). Voilà pourquoi elle traduit le mot islam par « abandon confiant » qui doit être aussi « engagé ».

Il s’agit en effet de vivre de la taqwa, c’est-à-dire de la conscience qu’il existe quelque chose au-delà de nous, au-delà du visible, qui est Dieu et qu’Il vous accompagne dans les bons et mauvais moments de la vie.

Dans cette dynamique, à une attitude musulmane privilégiant le légalisme et l’éxécution de règles, Nayla Tabbara préfère une maturité spirituelle enracinée dans l’autonomie de la volonté personnelle et la liberté de pensée et de conscience. Celle-ci sera alors moteur pour un engagement dans l’action sociale et un islam de non-violence prôné dans le chapitre 7 et qu’elle met en œuvre à travers une vraie citoyenneté musulmane.

Cette posture trouve son inspiration, non seulement dans la lecture du Coran et la vie des prophètes ou de Marie, mais aussi dans celle de témoins. Ainsi Nayla Tabbara s’est enrichie de la vie de personnes comme Abdel Kader al-Jazairi (1808-1883, Algérie), Abdul Ghaffar Khan (1890-1988, Pakistan) ou Asma Lamrabet (1961-, Maroc)[1], présentés comme portés par une attitude « mariale », c’est-à-dire continuant leur chemin en laissant leur œuvres parler pour eux et sans s’opposer à leurs détracteurs (p. 84). Sans oublier des personnes comme Salma, Moustafa, Tinba ou Abou Bakr, évoquées dans le chapitre 6 consacré à « Islam et handicap, vers une théologie de la fragilité ».

Mais les plus belles pages de ce livre se trouvent à la fin du chapitre 3 où l’auteure va jusqu’à écrire que chacun de nous peut devenir « une parole de Dieu vivante », car « chaque créature est une parole divine, et donc une parole créatrice, vivifiante ». « Le croyant et la croyante sont appelés à incarner, à leur échelle, les attributs de Dieu visibles dans ses Noms » (p. 85). Le « nous » semble bien réunir tous les croyants en Dieu, ce que confirme le chapitre 5 consacré à une théologie de la diversité religieuse.

Selon Nayla Tabbara, le croyant est invité à vivre une théologie de l’altérité. Ainsi, tout en décrivant le parcours chronologique de la relation entre les musulmans et les autres (temps de l’appel fait aux croyants à se fondre en une même foi abrahamique, temps des vicissitudes, temps de la diversité assumée et réconciliée), elle va jusqu’à cette stimulante profession de foi : « Les religions sont des voies pour nous rapprocher et de l’essence divine et de l’essence humaine. Bien que nos appartenances religieuses forment nos identités respectives, nos religions ne peuvent pas devenir des identités dont nous nous couvrons comme des cuirasses. Elles sont pour nous des vecteurs dans nos cheminements au cœur de l’être et du sens. Pour ce, aucun d’entre nous ne peut dire posséder la vérité. Nous tendons vers le Vrai, mais nous ne détenons jamais la vérité » (pp. 161-162). Lui fait écho la déclaration des féministes musulmanes réunies à Barcelone en 2005 : « Pour prévenir les conflits, il faut provoquer les dialogue. Dans les espaces interstitiels ; personne n’a la réponse absolue : nous devons construire en commun. De la connaissance mutuelle à la reconnaissance mutuelle » (p. 134).

Des pages à lire, travailler et partager avec d’autres !

Vincent Feroldi

[1] Tout le chapitre 4 est consacré à la lutte des féministes musulmanes dont Asma Lamrabet est l’une des belles figures.

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