Jalila Sbaï, La politique musulmane de la France. Un projet chrétien pour l’Islam ? (1911-1954)

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Rien que par son titre, ce livre interpelle et semble contenir une contradiction. En effet, l’auteur semble vouloir nous présenter une politique qu’il qualifie de « musulmane » ; mais le sous-titre nous laisse supposer qu’il s’agirait en fait d’un « projet chrétien ». De quoi s’agit-il en fait ?

La France, en tant que pouvoir colonial, devient l’autorité politique de toute l’Afrique du Nord, essentiellement l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Tous ces peuples s’imposent à eux comme étant avant tout des musulmans. Il va donc falloir mettre en place une politique française mais en harmonie avec la religion musulmane. Cette politique sera promue essentiellement par un homme peu connu de nos jours, Robert Montagne (1893-1954). Il sera entouré de collaborateurs ayant eu, eux aussi, une expérience du monde arabe. Parmi ceux-ci, nous pouvons remarquer la présence de Louis Massignon. Ces derniers étant des chrétiens convaincus, toutes leurs initiatives ou suggestions seront empreintes de la culture chrétienne, même s’ils doivent rester en harmonie avec la laïcité française. C’est en ce sens qu’on peut ajouter l’adjectif « chrétien » au projet pour l’Islam mais sans oublier le point d’interrogation laissé par l’auteur à la fin du titre.

Concernant les efforts pour trouver une politique « musulmane », dès 1911, le gouvernement met en place le CIAM (Commission Interministérielle des Affaires Musulmanes). Ce sera ensuite une grande diversité de bureaux d’études, et d’institutions en tous genres, chargés d’aider les gouvernants à mieux comprendre la réalité musulmane à laquelle ils font maintenant face. Une même question sera récurrente dans toutes ces instances : « La foi musulmane et la démocratie à la française sont-elles conciliables ? » Pour certains, la réponse sera négative car, selon eux, « les lois du Coran sont incompatibles avec les lois françaises ». En ce cas, l’identité musulmane devient un obstacle à l’intégration (p. 74-75). Des tensions vont rapidement se faire jour entre musulmans et français. Cela provoquera parfois un exode (p. 49) de certains ou encore, ici ou là, à des manifestations hostiles. La population docile peut devenir parfois revendicative et même vindicative (p. 125). Mais cela sera une révolte contre l’impérialisme européen avant d’être une renaissance religieuse (p. 145), comme l’explique Robert Montagne : « C’est le fanatisme religieux qui devait fournir les moyens d’action les plus efficaces et c’est donc autour d’une idée religieuse que se cristallisera l’opposition contre la puissance mandataire » (p. 146).

Ce livre est l’écho bien détaillé d’une thèse d’histoire présentée en juin 2015 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il nous renseigne sur des aspects mal connus de notre histoire commune entre Maghrébins et Français. Un des premiers est la pensée et l’action de Robert Montagne, non seulement politicien, mais aussi penseur convaincu et malgré tout peu connu. Il aura une action aux niveaux des plus élevés : chercheurs, politiciens, etc. Mais il restera aussi très concerné par ce qu’était l’islam au niveau des musulmans ordinaires. Il saura fustiger l’incompétence des fonctionnaires coloniaux qui auront parfois « les défauts d’une aristocratie ignorante, légère et dédaigneuse » (p. 184).

Robert Montagne à lui seul symbolise tout l’effort de la France au service de sa nouvelle population musulmane. On pourra le critiquer quant à ses conclusions, mais jusqu’au bout il restera fidèle à ses convictions. Il est au moins la preuve flagrante que la France n’a pas attendu la 5ème République pour s’occuper des musulmans.

Avec ce livre, nous voyons mieux les difficultés de l’Islam et des musulmans pour trouver leur place en milieu français. On comprend aussi que tous les fonctionnaires de l’époque, sans être prosélyte, ne pouvaient pas faire abstraction de leur culture chrétienne. Le chantier a été ouvert au début du 19ème siècle et, en ce début du 21ème siècle, il est toujours ouvert.

Gilles Mathorel

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