Beauvais, ville de paix

Villes de paix, des histoires qui font l’histoire

Beauvais, 18 septembre 2016

par le Père Vincent Feroldi

« Les religions au cœur de la ville / Agir ensemble »

Voir aussi le reportage de France 3 Picardie

 

Introduction

Lorrain d’origine, j’ai découvert Lyon en 1971 pour y faire des études d’histoire. Le choix de cette ville s’expliquait par le fait qu’elle est la ville où ma famille paternelle, originaire de Brescia, en Italie, s’installa en 1864, fuyant ce pays pour des raisons avant tout politiques. Alors que je devais la quitter au terme de mes études universitaires, j’y suis resté et j’ai même demandé mon incardination presbytérale au diocèse de Lyon, signe que des liens profonds et personnels s’étaient tissés avec cette ville, en particulier avec des personnes. Un signe fort en est qu’aujourd’hui, je ne suis pas seul pour témoigner. A mes côtés, Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane à Villeurbanne, avec qui je chemine en confiance et en amitié depuis 2007, c’est-à-dire depuis un exceptionnel voyage islamo-chrétien en Algérie et, en particulier, au monastère de Tibhirine.

Mais si nous sommes là, ensemble, à Beauvais, « ville de la Paix », c’est bien parce que cette ville a elle-même vécue la guerre et l’horreur. Souvenons-nous des paroles du Général de Gaulle saluant Beauvais, en ces termes, en août 1945 : « Bonne ville de France, vieille cité de l’Ile-de-France, cité meurtrie, cité mutilée… ». Il est vrai qu’entre le 5 et le 8 juin 1940, le centre de la ville fut détruit à plus de 50% par les bombardements allemands. 1978 maisons sur 4250 furent totalement détruites et 250 rendues inhabitables, 60 monuments classés sur 82 disparurent. Des années furent reconstruire Beauvais, bâtir de nouveaux logements, réédifier les bâtiments publics, les hôpitaux, les établissements d’enseignement. Il faudra attendre les années 1960 pour que la reconstruction s’achève véritablement

Avez-vous noté qu’avec ces deux exemples, Lyon et Beauvais, où se mêlent des histoires personnelles et des événements historiques, nous pouvons déjà percevoir qu’au cœur de notre réflexion s’entremêlent trois types de réalité qui touchent à la temporalité, à l’espace et l’humain ?

Pouvoir témoigner, ensemble, des religions au cœur de la ville et d’un agir ensemble, c’est bien parce que se vit une conjonction quelque peu mystérieuse entre des événements, un espace – en l’occurrence la ville – et son histoire, et des personnes. Une secrète alchimie va faire qu’à un instant T, en un lieu L, des personnes X, Y et Z vont agir ensemble pour la paix, vu le thème de ce colloque.

N’est-ce pas ce que j’ai vécu mercredi dernier, 14 septembre, – troisième exemple ! -, à Paris, ville meurtrie voici peu par les attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et du 13 novembre 2015, au Collège des Bernardins, où se retrouvèrent ensemble, l’espace de quelques heures, le Dalaï-Lama et les responsables des grandes religions présentes en France (judaïsme, islam, bouddhisme, catholicisme, protestantisme et orthodoxie) pour une rencontre sur le dialogue interreligieux, « au service du respect et de la tolérance » ?

En fait, si je prends du recul et le temps d’analyser ces différents exemples, je note toute l’importance de l’humain, s’inscrivant dans l’Histoire, en fonction d’événements quelque peu exceptionnels. Nous ne sommes pas dans le déterminisme ou l’évidence ou l’inévitable. Il faut que des hommes et des femmes, habitées de convictions politiques ou spirituelles ou humanistes, prennent résolument un chemin d’action.

Lyon

Lyon est certes la capitale de la Gaule et, paraît-il, la capitale mondiale de la gastronomie. Mais elle est aussi cette ville désignée par certains comme la capitale de la Résistance de 1940 à 1942. Souvenons-nous des Cahiers de Témoignage chrétien, de Jean Moulin malheureusement arrêté à Caluire, de l’attitude du Cardinal Gerlier et, en vis-à-vis, de Klaus Barbie et de Paul Touvier… C’est aussi une ville remarquée par le catholicisme social et par des précurseurs au dialogue interconfessionnel et interreligieux. Je pense à l’action de l’abbé Paul Couturier et, plus tard, du Groupe des Dombes, du nom de l’abbaye trappiste Notre-Dame-des-Dombes, située dans le département de l’Ain.

Cette Histoire marque non seulement la ville dans son urbanisme et ses monuments, mais aussi la population. Ainsi, la Fan-zone de la place Bellecour de l’Euro 2016 était à 50 mètres du Veilleur de Pierre, sculpture du Georges Salendre et de l’architecte Louis Thomas, installée en 1948, mémorial de la Résistance intérieure française, rappelant l’assassinat par les Allemands des résistants Albert Chambonnet, Gilbert Dru, Léon Pfeffer, René Bernard et Francis Chirat précisément à l’emplacement de la sculpture (alors le café « Le Moulin à vent »), le 27 juillet 1944… C’est devant ce monument que, souvent, se rassembleront les responsables religieux de la ville de Lyon, pour manifester leur désir de paix dans le monde, en particulier au moment de la déclaration de guerre à l’Irak.

2007

En février 2007, un voyage va rassembler des chrétiens et des musulmans. Leur destination ? L’Algérie et, plus précisément, le monastère de Tibhirine où furent assassinés sept moines, des hommes de prière, de fraternité et de paix. A l’initiative, Azzedine Gaci et le Cardinal Philippe Barbarin. Parmi les participants, Kamel Kabtane, recteur de la Grande mosquée de Lyon et le Père Christian Delorme, fortement engagé auprès des jeunes musulmans, Madame Régine Maire, engagée dans le dialogue interreligieux, et moi-même, alors directeur de la communication du diocèse.

Cette expérience de fraternité partagée et aussi de prière, en particulier devant les tombes des moines assassinés, va marquer durablement les relations entre les responsables des deux communautés en région Rhône-Alpes. Il y a vraiment un avant et un après-Tibhirine. Elle permet aussi de mesurer le poids des hommes.

Il est évident que de telles initiatives ne peuvent avoir lieu s’il n’y a pas un engagement résolu et profond de personnes, prêtes à prendre des risques, habités d’une forte spiritualité, animés de convictions profondes, désireux de faire bouger les lignes et de toucher l’opinion publique.

Il est clair que, dans l’exemple lyonnais, il y a du côté chrétien comme une tradition qui se transmet de génération en génération. Nous marquent durablement les figures du Cardinal Pierre-Marie Gerlier (1880-1965), des pères jésuites Pierre Ganne (1904-1979), François Varillon (1905-1978) et Gustave Martelet (1916-2014), des prêtres comme Albert Carteron (1912-1992) et Henri Le Masne (1922 ? -2009), d’évêques comme Alfred Ancel (1898-1984), Albert Decourtray (1923-1994), Louis-Marie Billé (1938-2002), Gabriel Piroird (1932- ) et Philippe Barbarin (1950- ). Côté musulman, il y a des personnes comme l’imam Bel Hadj El Maafi, le Professeur Badreddine Lahneche, les recteurs Kamel Kabtane et Azzedine Gaci…

Ce sont grâce à eux qu’aujourd’hui, nous pouvons parler de Lyon comme une ville de paix où des hommes et des femmes agissent pour la paix.

G9 et Concorde et solidarité

Notons que les responsables religieux lyonnais vont s’appuyer, ces dernières années, sur deux structures : le G9 et Concorde et solidarité.

Le G9 est une structure informelle qui réunit au moins une fois par an pour un échange les représentants des différentes religions présentes à Lyon : les sept Eglises chrétiennes (catholique, arménienne apostolique, orthodoxe, anglicane, baptiste, luthérienne et réformée), la communauté juive et la communauté musulmane. Ils interviennent aussi régulièrement en réaction à des événements locaux, nationaux ou internationaux.

Par ailleurs, depuis 2002, à l’initiative du Maire de Lyon, Gérard Colomb, existe Concorde et Solidarité. Cette structure, qui rassemble les représentants des grandes religions avec le maire de Lyon, œuvrent à la paix sociale et à la mise en place de projets communs de partage, de solidarité et de fraternité, dans le respect des croyances de chacun. Ce fut, par exemple, au moment des attentats de ces dernières années ou à l’occasion de la Fête de la Musique.

Le Forum national islamo-chrétien

Fin 2010, suite à une conférence islamo-chrétienne à plusieurs voix où il apparaissait qu’il y avait urgence à valoriser l’agir ensemble si nous ne voulions pas voir augmenter les tensions entre les communautés et dans la société française, Vincent Feroldi et Azzedine Gaci, se concertent pour lancer une initiative qui aboutira à la création du 1er Forum islamo-chrétien organisé en France. Il se tient les 26 et 27 novembre 2011, à Lyon. Il rassemble une cinquantaine de responsables religieux de tous horizons, venus de la France entière. Dans un climat fraternel de grande liberté, confiance et franchise, les participants travaillent des questions importantes comme le mariage, les aumôneries dans l’armée, les hôpitaux et les prisons, la laïcité, la place du spirituel dans notre société… Ils rappellent qu’ils sont d’abord des citoyens, fortement attachés à l’esprit de la laïcité qui donne l’occasion aux religions de s’exprimer dans la cadre des lois de la République. Il leur apparaît essentiel de travailler régulièrement, chrétiens et musulmans, sur des terrains où ils partagent les mêmes valeurs et le même sens de l’homme. Pour eux, dans une société française multiculturelle, le dialogue n’est pas une option parmi d’autres mais une nécessité

L’année suivante, les 1er et 2 décembre 2012, ils échangent sur « les tentations extrémistes » et adoptent une déclaration sur « Vivre ensemble, en amitié et en dialogue ».

En 2013, pour la 3ème édition, ce sont une soixante de responsables musulmans et chrétiens – parmi lesquels le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry et président du conseil pour les relations interreligieuses de la Conférence des évêques de France, des représentants du Conseil français du culte musulman, de la Grande mosquée de Paris ou encore le cheikh Khaled Bentounès – qui se retrouvent sur le thème de la transmission de la foi et signent le dimanche 1er décembre 2013 une « Lettre ouverte aux jeunes » ….

La naissance de l’Etat islamique en juin 2014 et l’accentuation de l’exode des chrétiens d’Orient interpellent vivement les organisateurs du Forum national islamo-chrétien qui s’activent et proposent aux membres du Forum et à leurs amis de lancer un appel solennel à agir ensemble pour la paix et pour construire un monde solidaire. Cela débouche sur l’Appel des 1101, lancé le mercredi 1er octobre 2014, place Bellecour, à Lyon, en présence de Mgr Louis-Raphaël Sako, patriarche des Chaldéens, des responsables juifs, chrétiens et musulmans des différentes communautés religieuses et devant plus de 1.200 personnes et les caméras de France 3. C’est un appel à s’engager à favoriser, dans le quotidien, des attitudes de dialogue et de respect de l’autre, pour construire ensemble un monde de paix.

Quelques mois plus tard et au lendemain des dramatiques attentats survenus à Paris les 7, 8 et 9 janvier 2015, ce seront 2.000 personnes à avoir répondu présent et surtout à avoir voulu s’engager pour « une société qui prône l’écoute, l’entraide, le savoir vivre ensemble, le collectif… ». Ils habitent la France entière, mais aussi la Belgique, la Suisse, l’Italie, la Turquie, le Japon, les Etats-Unis, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Algérie ou la Tunisie. Ils sont de toutes les religions. Mais pas seulement ! L’un des signataires n’écrit-il pas aux auteurs du texte : « Il manque : « Nous, citoyens agnostiques ou athées, conscients de l’universalité des valeurs humanistes véhiculées par ce message, nous rangeons nous délibérément aux côtés des auteurs de cette pétition » ». Chacun s’est senti rejoint dans son vécu, quel que soit son parcours, sa profession, ses engagements, ses responsabilités. Pas besoin d’être universitaire, ni chef d’entreprise pour signer car : « Si vous ouvrez la liste aux humains sans titre, vous pouvez inscrire mon nom : Patrick » et « cet engagement ne doit pas être réservé à « l’élite » ».

Ainsi, de jour en jour, ce sont toutes les composantes de la société qui se sont retrouvées à vouloir signer : médecin, attaché de presse, pasteur, directeur, conseillère conjugale, juriste, étudiant, employé qualifié, archiviste, demandeur d’emploi, évêque, entrepreneur, journaliste, chercheur, mère au foyer, menuisier, fonctionnaire, policier, courtier, pharmacien, ingénieur rural, artiste, imam, pédiatre, agriculteur, rabbin… Des collectifs ont voulu aussi s’engager : la Conférence des responsables de culte en France, la Communauté du Sappel, l’Association Action Espoir ou celle des Amis d’Etty Hillesum, la Fédération des Associations des Mosquées de l’Isère…

Christian le résume bien : « En ce sens, le texte s’adresse à tous, croyants ou non, car en faisant le tour d’un large panel de situations professionnelles, associatives, personnelles, il nous montre que nous pouvons tous agir, même individuellement, pour faire reculer le mépris de l’autre, la persécution et l’extrémisme et « défendre et promouvoir les valeurs qui fondent notre République : Liberté, Egalité, Fraternité » ». Et Etienne d’ajouter : « J’aurais apprécié aussi un engagement de « nous, théologiens », à « s’atteler à la grande entreprise qui consiste à désacraliser la violence » quand il y a lieu dans nos religions, pour reprendre l’expression de Ghaleb Bencheikh ».

Avec leurs mots, les uns et les autres ont exprimé en quoi ce texte les rejoignait :

  • « Un texte plein d’espérance »

  • « Le texte que vous avez écrit me parle et je me reconnais complètement dans ce désir de partage et de vivre ensemble avec nos différences enrichissantes »

  • « Bravo pour les mots justes de cette pétition qui nous engagent tous sur un chemin de confiance ».

Mais, par delà l’appel, c’est surtout une dynamique qui s’est esquissée :

  • « Parce que se positionner clairement est nécessaire aujourd’hui, je signe ! »

  • « Après, il sera trop tard pour pleurer… »

  • « Un large mouvement peut naitre ainsi qui redonnera courage et confiance à ceux qui croient être seuls à vouloir la fraternité, désespérant du genre humain ».

  • « Notre engagement est pour la paix internationale. C’est un devoir et non pas une faveur ».

  • « Bonne initiative. Il était temps de semer la bonne graine. Courage ! »

  • « A chacun son grain de sable pour la PAIX ! »

  • « Il est important de relayer cette initiative. Face au risque du « choc des ignorances », il est urgent de mettre en place un TRAVAIL de proximité, de connaissances ».

Il apparait ainsi que l’Appel des 110 a libéré la parole, fait grandir l’espérance, a initié une fraternité en mouvement, fait naitre un vivre ensemble fécond, source de richesses et d’entre-connaissance.

Latéfa le résume ainsi : « J’ai lu avec grand intérêt le texte « Nous nous engageons » et c’est avec un grand plaisir que je le signe et l’approuve. J’espère que votre combat pour le rapprochement de tous et la foi dans les cœurs vaincra. A bientôt, inchah Allah, dans des actions fédératrices ».

Rien d’étonnant alors que, quelques semaines après le 1er octobre, le 4ème Forum islamo-chrétien se fasse sur le thème de la violence et du vivre ensemble et débouchent sur l’organisation de Forums régionaux qui se tiendront à Clermont-Ferrand (2016), Laval (2016), Marseille (2015), Metz-Woippy (2016), Paris (2015 et 2016), Rennes (2015) et Saint-Etienne (2015). Les Forums de 2016 étaient sur le thème : « Chrétiens et musulmans appelés à être des citoyens solidaires ».

Conclusion

A cette liste de ville de paix où des hommes et des femmes se rejoignent pour agir ensemble, permettez-moi d’ajouter le nom de deux villes dont l’une n’était pas connue du grand public jusqu’au matin d’un mardi de juillet 2016. Je veux parler de Rouen et de Saint-Etienne du Rouvray où fut tragiquement assassiné le Père Jacques Hamel et agressé de simples fidèles, au cours d’une messe.

Au lendemain de cet acte odieux, nous pouvions craindre le pire dans notre pays et au cœur de la société française.

Il n’en fut rien.

Pourquoi ?

En partie, parce que les victimes qui ont survécues à l’agression (les religieuses et un vieux Monsieur) et deux hommes de paix, l’Archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun, et le Président du CFCM (Conseil français du culte musulman), Anouar Kbibech, ont pris le chemin, non de la violence et de la haine, mais de la paix et de la solidarité.

Il en résulté cet extraordinaire « Dimanche de la Fraternité » du 31 juillet 2016 où les musulmans se sont invités à la messe dominicale et se sont rendus nombreux dans les églises de France pour exprimer leur attachement à la Vie, à la Paix, à la Fraternité et à la Solidarité.

Ainsi, ce n’était plus seulement des villes de France qui témoignaient de la Paix. Ce furent en fait villes et villages de France où vivaient chrétiens et musulmans qui devinrent ce jour-là artisan de paix, écrivant par leur rencontre fraternelle l’Histoire de France.

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