Chrétiens et musulmans : se rencontrer pour se connaître
Début juillet 2018, le temps d’un week-end, Taizé fut le lieu de rencontre et d’échanges entre chrétiens et musulmans, jeunes et moins jeunes, français, européens et moyen-orientaux. Ils étaient environ 300 pour échanger sur leur foi autour du thème : « Vie intérieure et fraternité ». Interventions, ateliers, groupes d’échanges, prières, musiques, nourritures partagées : chacun a pu trouver une manière de saisir le sujet.
Frère Aloïs ouvre la rencontre par ces mots d’accueil, s’adressant tout particulièrement aux jeunes musulmans : « Votre confiance nous touche. En effet, en sachant que notre communauté appartient à la tradition chrétienne, vous avez fait le choix de nous rejoindre… Je souhaite que ce week-end soit une expérience spirituelle pour chacun de nous, un élargissement du cœur. »
Le premier jour, de nombreuses questions ont été abordées sur la foi, le dialogue, la prière, notre relation à Dieu. Le professeur Ousama Nabil, de l’université al-Azhar au Caire, nous a parlé de la foi dans son intervention du vendredi matin. Pour lui, on peut hériter une religion mais on ne peut pas hériter la foi. La foi est un échange, une relation personnelle avec Dieu. La prière, par l’adoration continuelle du cœur, est le moyen de dialogue avec Dieu. Il cite le Hadith 13 : « Vous n’aurez pas la foi tant que vous n’aurez pas aimé pour vos frères et vos sœurs ce que vous avez aimé pour vous-même ».
Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille, chargé du dialogue interreligieux pour la Conférence des évêques de France, a reconnu que le dialogue était une épreuve pour la foi. C’est accepter qu’il y a quelque chose de vrai chez l’autre que je ne comprends peut-être pas. C’est accepter que Dieu est plus grand que ce que je croyais. C’est regarder Dieu et lui demander : « Mais qui donc es-tu pour que chacun croie que tu le regardes lui, personnellement ? » L’évêque a mentionné aussi le risque de confondre l’absolu de Dieu avec l’absolu d’une institution. Dans le dialogue et la rencontre avec des croyants d’une autre tradition, il s’agit d’éviter cet écueil sans pour autant rejeter l’héritage des croyants des siècles passés, qui nous portent chaque jour dans la prière.
Parler de paix, de réconciliation et de dialogue, c’est aussi faire une place pour écouter la colère, les douleurs de ceux qui connaissent la violence ou même la guerre dans un contexte où la religion joue un rôle. Le samedi, deux femmes ont parlé de leurs expériences personnelles de la violence, et de leurs espoirs.
Onjali Rauf, musulmane fondatrice et présidente de l’ONG de défense des droits de l’homme « Make her story » au Royaume Uni, a évoqué les situations de violences qu’elle accompagne et de son cheminement pour y faire face avec Dieu. Elle nous a confié avoir éprouvé de la colère contre Dieu, mais elle pense aussi que nous avons le droit de lui exprimer notre colère. Dieu est assez grand pour prendre notre colère et nos doutes. Elle a parlé ensuite de la bonté, et de l’importance de ne pas sous-estimer nos propres gestes de bonté.
Sœur Mariam An-Nour[i], directrice de l’école de Meshref au Liban, nous a rappelé que « le contraire de la violence, ce n’est pas la paix entre différentes communautés partisanes, mais c’est le lien entre différents individus appartenant à différentes communautés ».
Le prêtre anglican Guy Wilkinson a rebondi en parlant de l’amitié : celle-ci est un risque, le risque de dire oui à l’autre. C’est le défi adressé aux jeunes d’aujourd’hui : dire oui par amitié à des gens qui ne nous ressemblent pas.
A la fin de la rencontre, ils ont dit…
Khaled Roumo, auteur et poète, à l’attention de Martin, jeune irakien en révolte contre les musulmans : « Tous les peuples de la région sont en souffrance et la religion est instrumentalisée par le politique. Nous devons nous rassembler pour pleurer ensemble les victimes, prier pour les agresseurs, prier pour la paix, dire sa douleur fraternellement en demandant la compassion pour les frères et sœurs, sans juger, sans accuser, sans généraliser ».
Oussama Nabil, directeur de l’Observatoire d’al-Azhar de lutte contre l’extrémisme : « Ma foi a grandi à Taizé. Merci pour l’accueil, pour ce que vous êtes, pour être mes frères. J’ai grandi par votre rencontre. C’est un cadeau de Dieu. »
Abdelhafid Benchouk, membre de la voie soufie Naqshbandi : « Par cette rencontre, nous pouvons mesurer la grandeur de Dieu pour nous, lui qui ne cesse de donner de l’amour à chacun. La fraternité est une voie vers l’unité, pour rejoindre celui qui est Unique. Je suis frappé par le rythme de la vie dans les Balkans : appel du muezzin la vendredi, la corne juive le samedi, les cloches chrétiennes le dimanche. »
Mgr Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille et président du Conseil pour le dialogue interreligieux de la Conférence des évêques de France : « N’oublions jamais l’importance de l’amitié : quand on parle de personne à personne, on avance dans le dialogue. Nous devons continuer à approfondir notre foi : l’autre oblige à aller plus loin dans sa propre foi, à savoir comment je comprends ce que je crois. La rencontre est possible grâce au climat de prière : continuer à prier et à être présent à la prière des autres. L’essentiel de nos relations prend sa source en Dieu : nous devons rejoindre la joie de Dieu qui voit ses enfants se rencontrer pour apprendre l’un de l’autre. Le dialogue n’est pas facile, mais y croire et y participer par des petits gestes rend l’impossible possible. »
Frère Aloïs : « Le dialogue devient encore plus urgent. Il y a eu beaucoup de joies et aussi des questions réveillant des douleurs. C’est un chemin difficile, et nous y sommes encouragés par ces rencontres ; veillons à nous arrêter dans notre vie quotidienne pour accueillir l’autre. »
Dans l’assistance :
- Merci pour ces deux jours ensemble : joie, sourires, pour s’ouvrir à la relation !
- Ensemble ici pour un même Dieu, pour vivre en paix.
- Des différences qui pourront être causes de guerres, mais aussi de paix et de fraternité.
- Même rythme, même nourriture pour tous, riches, pauvres, blancs, noirs, musulmans, chrétiens : nous avons le même Dieu.
- « Soyez patients, vous êtes dans le regard de Dieu » (Coran) : il n’est pas seulement musulman, Dieu parle à chacun.
- Nous avons à construire le monde ensemble. Seul l’amour peut construire ce monde.
Denys Bourguignat, avec la Communauté de Taizé (www.taize.fr)
[i] Sœur Mariam an-Nour appartient à la congrégation de Carmel Saint Joseph qui a sa maison-mère à Saint Martin Belle Roche, dans le diocèse d’Autun. Voir le témoignage de Sœur Mariam sur http://www.carmelsaintjoseph.com/le-carmel-saint-joseph-a-taize-pour-trois-jours-damitie-islamo-chretienne/