Merci, Père Claude Geffré, pour votre réflexion théologique !
Le Père Claude Geffré, l’un des théologiens les plus éminents de l’après-Concile Vatican II, s’est éteint jeudi 9 février 2017 à l’âge de 90 ans. Ses funérailles auront lieu lundi 13 février à 10 heures au couvent Saint-Jacques, 20 rue des Tanneries dans le XIIIe. L’inhumation aura lieu à 14 heures dans le caveau dominicain du cimetière d’Etiolles (Essonne).
Au moment où il vit sa Pâque vers le Seigneur, nombreux sommes-nous à nous souvenir, qui de l’un de ses cours sur l’herméneutique à l’Institut catholique de Paris, qui de l’une de ses interventions lors d’une rencontre islamo-chrétienne internationale, qui de telle ou telle page de l’un de ses ouvrages qui nous ouvrait à une profondeur encore insoupçonnée d’une théologie habitée de l’Esprit du Christ. Son travail théologique n’a pas fini de porter des fruits et de nous faire bouger dans notre recherche sur la question du pluralisme religieux dans le plan divin. Ses fulgurances théologiques ont parfois interrogé, en particulier quand il abordait la question des Ecritures des différentes traditions. Elles n’en reflétait pas moins une quête passionnée de ce mystère de l’Alliance entre Dieu et l’humanité plurielle.
En avril 2008, Claude Geffré participait au 30ème anniversaire du GRIC (Groupe de recherches islamo-chrétiennes) qu’il avait fondé avec d’autres chercheurs universitaires chrétiens et musulmans en 1977. Il traita de « L’émergence d’un islam européen à l’épreuve de la modernité ».
Mais ce fut aussi pour lui l’occasion de partager ses convictions dans une communication qu’il avait intitulé : « Urgence du dialogue entre les membres de religions différentes et spécialement autour de la Méditerranée entre chrétiens et musulmans ».
Au moment où tous les acteurs du dialogue interreligieux lui disent « A Dieu ! », il est bon de relire ce passage :
« En 1977, lorsqu’un petit groupe d’universitaires, chrétiens et musulmans soucieux de rompre avec un dialogue de sourds aux accents trop souvent apologétiques et polémiques qui tendait à s’établir lors des rencontres entre intellectuels chrétiens et musulmans, a pris l’initiative de fonder le Groupe de recherche Islamo-Chrétien, ils n’imaginaient sans doute pas combien la place centrale qu’aurait la question interreligieuse et spécialement islamo-chrétienne dans l’actualité mondiale quelques décennies plus tard. Car c’est un paradoxe : alors que le monde est plus que jamais dominé par les questions économiques et financières, les religions sont toujours au centre des débats de société. Mais quels aspects des religions ? Les aspects qui se donnent à voir dans les media ; c’est-à-dire rarement ce qui se vit paisiblement au quotidien par la majorité des croyants, mais ce qui sort de l’ordinaire, ce qui choque, ce qui semble remettre en cause les images établies. Au point que pour beaucoup de nos contemporains, les religions apparaissent comme des sources de violence et le monothéisme comme source d’intransigeance et d’intolérance.
Plus que jamais, le dialogue entre les religions et spécialement ici, autour de la Méditerranée, le dialogue entre chrétiens juifs et musulmans, est urgent :
-
Pour faire face aux défis économiques et éthiques de ce monde : puisque les critères de choix politiques et économiques apparaissent d’abord déterminés par la finance et la technicité, il est nécessaire pour qu’une parole des religions sur le sens de l’homme et de la vie soit crédible et donc entendue, qu’elle soit commune aux grandes religions.
-
Pour faire face aux défis sociaux et politiques de ce monde et à l’utilisation des religions à des fins de domination, il est nécessaire que les religions aient une parole commune de paix et puissent affirmer la valeur de toute vie humaine, luttant ensemble contre toutes formes de discriminations et de pauvretés.
-
Pour faire face aux défis théologiques posés par la rencontre entre les religions et notamment entre musulmans et chrétiens, il est nécessaire qu’un rapport mutuel d’amitié et de confiance s’établisse. Les discussions interreligieuses, trop souvent émaillées de paroles plus ou moins intentionnellement provocatrices, discréditent les nouvelles tentatives d’ouverture à l’autre, laissant croire que tout échange théologique véritable serait impossible. Or les discussions théologiques possibles sont loin de se limiter à souligner les points communs et les différences entre nos religions, comme si les uns et les autres n’avaient rien à s’apprendre mutuellement dans leur compréhension de la relation qui unit l’homme à Dieu et les hommes entre eux. Les domaines à visiter ou à revisiter sont encore vastes : anthropologie religieuse, éthique sociale, bioéthique, spiritualité, etc. Chrétiens et musulmans peuvent s’enrichir mutuellement non seulement dans l’approfondissement de leur propre foi confrontée à une altérité, mais dans la recherche commune de leurs richesses respectives ».
P. Vincent Feroldi
Evocations
La Croix du 9 février 2017, Décès de Claude Geffré, théologien de la rencontre des religions, par Céline Hoyeau
La Vie du 9 février 2017, Claude Geffré, la théologie du pluralisme religieux, par Jean-Claude Guillebaud
Biographie
Théologien dominicain français et co-fondateur du GRIC, Claude Geffré est né à Niort (Deux-Sèvres) en 1926. Il a fait ses études de philosophie et de théologie aux facultés dominicaines du Saulchoir. Il était détenteur d’un doctorat en théologie à l’Angelicum (Rome, 1957). Sa thèse avait pour titre : Le péché comme injustice et manquement à l’amour.
Il a été, tour à tour, professeur de théologie dogmatique (1957-1968) et recteur des Facultés dominicaines de Saulchoir (1965-1968), professeur de théologie fondamentale à l’UER (Unité d’Enseignement Religieux ) de théologie et de sciences religieuses de l’Institut Catholique de Paris (1968-1988), directeur du Cycle des Etudes de Doctorat en théologie (1973-1974), professeur d’herméneutique et de théologie des religions (1988-1996) à l’Institut Catholique de Paris, avant de devenir en 1996 directeur d’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem où il a fait un mandat de trois ans. Il a été professeur invité dans plusieurs facultés de théologie : Bruxelles , Sherbrooke, Fribourg, Québec, Atlanta, Kinshasa, Ottawa et Yaoundé.
Ancien directeur de la collection « Cogitatio fidei » aux Édition du Cerf, il a lui-même écrit de très nombreux articles et plusieurs ouvrages importants consacrés en particulier à la question herméneutique. Il a aussi été directeur de l’École biblique de Jérusalem.
Ouvrages publiés
De Babel à Pentecôte : Essais de théologie interreligieuse, Paris, Éditions du Cerf, 2006.
Avec ou sans Dieu ? Le philosophe et le théologien, Régis Debray et Claude Geffré, Paris, Bayard, 2006
Croire et interpréter : le tournant herméneutique de la théologie, Paris, Éditions du Cerf, 2001
Profession théologien : Quelle pensée chrétienne pour le XXIe siècle ? Entretiens avec Gwendoline Jarczyk, Paris, Éditions du Cerf, Albin Michel, 1999
Passion de l’homme, Passion de Dieu, Paris, Éditions du Cerf, 1991
Un nouvel âge de la théologie, Paris, Éditions du Cerf, 1972
Un espace pour Dieu, Paris, Éditions du Cerf, 1970, 1980
Ouvrages en collaboration
Avenir de la théologie, Paris, Éditions du Cerf, 1968
Procès de l’objectivité de Dieu : les présupposés philosophiques, Paris, Éditions du Cerf, 1969.
Révélation de Dieu et langage des hommes, Paris, Éditions du Cerf, 1981
La liberté religieuse dans le judaïsme, Paris, Éditions du Cerf, 1981
Initiation à la pratique de la théologie. Tome I. Introduction, 1982
Théologie et choc des cultures, Paris, Éditions du Cerf, 1983
Thomas d’Aquin, Somme théologique, nouvelle traduction françaises tome I, 1984
La théologie à l’épreuve de la vérité, Paris, Éditions du Cerf, 1984
L’Être et Dieu, Paris, Éditions du Cerf, 1986
L’Etat des religions, La Découverte / Éditions du du Cerf, 1987
L’Europe au sortir de la modernité ?, 1988
Marie-Dominique Chenu, l’homme différé, 1990,
Michel de Certeau, ou la différence chrétienne, Paris, Éditions du Cerf, 1991
Photo : DR