Chems Eddine Hafiz : « Croire qu’une communauté humaine est encore possible ».

Chems Eddine Hafiz_ photo S. Ouzounoff
Suite aux découvertes choquantes de têtes de cochons devant les portes d’au moins neuf mosquées d’Ile-de-France le 9 septembre, le Recteur de la Grande Mosquée de Paris – aux côtés d’autres responsables musulmans comme la présidente des mosquées de Paris, Najat Benali – a publié cette réflexion pour inviter à prendre de la hauteur et à retrouver le sens de nos liens. La dignité de la réaction de la grande majorité des musulmans de France devant les actes anti-musulmans de ces derniers mois, nous édifie et réclame de notre part une réaction à la hauteur de leur émoi, à la hauteur de leur sens du sacré et de leur désir de fraternité.
Le billet du Recteur (n°75)
« Retrouver la maison commune »
9 septembre 2025
Par Chems-eddine Hafiz
Recteur de la Grande Mosquée de Paris
Ce matin, une nouvelle est venue heurter notre rentrée comme une pierre jetée dans une eau déjà troublée. Devant plusieurs mosquées de Paris et de ses environs, des têtes de cochon ont été déposées dans la nuit. Neuf maisons de prière ainsi profanées, certaines souillées jusque dans leur seuil par des inscriptions haineuses. L’image est insoutenable. Elle blesse les fidèles, mais elle blesse surtout l’idée même que nous nous faisons d’une France fraternelle
Je le dis avec gravité : nous sommes arrivés au stade de l’abject. La haine a franchi une limite symbolique. Quand elle ose s’attaquer à des lieux de culte, elle ne vise pas seulement des croyants, mais la possibilité même de vivre ensemble sur une terre partagée. Aujourd’hui, l’émotion est vive et légitime. Elle s’exprime dans les larmes, dans la colère, dans le silence blessé. Mais demain, quand le tumulte retombera, il nous faudra trouver la force de poser les bonnes questions. Comment avons-nous pu en arriver là? Qu’avons-nous laissé se fissurer dans notre maison commune pour que de tels gestes deviennent possibles? Et surtout : comment reconstruire ce qui se défait?
En tant que responsable religieux, je ne peux me contenter de condamner. Mon devoir est aussi d’inviter à réfléchir, à chercher dans la profondeur des blessures la source d’un possible apaisement. Car une société qui s’abandonne à la haine court vers l’abîme, mais une société qui ose s’interroger ouvre déjà la porte à sa propre guérison
La rentrée est revenue, avec son cortège de visages fatigués et d’espérances encore fragiles. Comme beaucoup d’entre vous, je ressens dans l’air de ce mois de septembre un mélange d’impatience et de gravité. Les rues de Paris bruissent des conversations de rentrée, mais derrière les mots ordinaires, l’école, le travail, la politique, se devine une tension plus sourde, comme si chacun portait en lui une inquiétude que les autres devinent sans la nommer.
Depuis la cour de la Grande Mosquée, où les arbres résistent aux saisons, je regarde cette agitation et je m’interroge. Nul n’échappe à l’actualité : elle nous atteint dans nos foyers, dans nos prières, dans nos silences mêmes. Mais au lieu de nous enfermer dans le tumulte, ne pourrions-nous pas, ensemble, y chercher une invitation à réfléchir ?