La paix dans le discours de clôture de l’Assemblée plénière des évêques – 10 novembre
Chers Frères évêques, chers membres du secrétariat général, chers collaboratrices et collaborateurs de la Conférence, Mesdames et Messieurs les journalistes, et surtout vous tous, Mesdames, Messieurs, Frères et Sœurs, chers amis, qui suivez ce discours en direct ou en différé… (…)
(…) C’est face au Christ Seigneur donc et pour lui que nous avons reçu en notre assemblée et accompagné en ce sanctuaire Sa Béatitude l’Archevêque majeur de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, Sviatoslav Shevchuk. Il a fait retentir au milieu de nous la voix de l’Ukraine qui se défend et se bat et, en ce sens, il est une voix de la conscience européenne, j’ai pu le lui dire. C’est au nom du Christ que nous l’avons reçu comme un frère chargé d’affermir ses frères et sœurs dans l’épreuve et de les guider sur le chemin escarpé de la « résistance spirituelle ». Car c’est un combat que ne pas laisser place en son cœur à la haine et en son corps à la violence. Nous avons admiré la tranquille assurance de Mgr Shevchuk que l’Ukraine grandit comme nation et a la force spirituelle nécessaire à son combat pour sa liberté, le droit de ne pas avoir peur et de pouvoir dire la vérité, pour la liberté de penser et d’agir. Nous avons été impressionnés par sa conviction profonde que l’Église gréco-catholique peut aider le peuple ukrainien, dans sa diversité ethnique et religieuse et culturelle, à faire corps et à progresser dans les vertus démocratiques. La grande surprise du 20 février 2022 a été de voir se lever comme un seul homme un peuple qui était largement considéré comme divisé et affaibli par la corruption. Ces maux n’ont pas disparu, mais, Mgr Shevchuk s’en fait le témoin, les gens ordinaires font leur travail, remplissent leurs devoirs, supportent les complications et les manques de ce temps, se soutiennent dans les drames terribles qu’ils vivent les uns et les autres et les soldats se battent à cause de cela, pour cela. Personne ne veut retrouver ce qui a marqué les décennies de la domination soviétique.
A la veille du 11-novembre, commémoration de l’armistice qui mit fin à la première guerre mondiale, il est affreusement triste de réaliser qu’une guerre de tranchée se mène aujourd’hui à nos portes dans laquelle des hommes se battent pour gagner puis perdre puis gagner encore quelques mètres de terrain, il est poignant de songer que des hommes sont tués, blessés, mutilés, si près de chez nous et pour un combat qui nous concerne tous, qui met en jeu notre conception à tous de la liberté et de l’ordre international. Le cadeau que nous a laissé Mgr Shevchuk, un fragment d’un drone destiné à bombarder la maison dans laquelle il réside à Kyiv, est significatif à cet égard. En participant aux cérémonies officielles demain et en célébrant saint Martin, hongrois devenu soldat romain, en garnison en Gaule puis moine et évêque à Tours, grand marcheur des routes d’Europe, nous prierons pour qu’advienne la paix mais la paix dans la justice et la vérité et pour que se préparent les voies de la réconciliation.
Nous prierons aussi parce qu’il est terrible de penser que notre foi chrétienne qui nous unit les uns aux autres, qui nous fait frères et sœurs dans le Christ, puisse être utilisée pour justifier une guerre de conquête et certaines exactions. Nous avons entendu de Mgr Shevchuk le travail de discernement qu’il tâche d’opérer pour soutenir le patriotisme en le distinguant d’un nationalisme qui aveugle et pour dessiner les contours périlleux d’une guerre juste, menée de manière juste, alors qu’il faut utiliser la force et la violence.
En célébrant la messe où nous demandons, dans la troisième prière eucharistique : « Étends au monde entier le salut et la paix », nous portons tous les morts, tous les blessés, toutes les personnes traumatisées à jamais, les vies brisées ou empêchées par la violence, et nous les confions à Celui qui, « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » mais « s’est anéanti… devenant semblable aux hommes » et « s’est abaissé, devenant obéissant et jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » Le Christ, le Fils consubstantiel au Père, n’est pas mort pour rien mais il a affronté la violence terrible qui habite le cœur des humains et tant et tant de leurs actes. Dans la joie de nous retrouver à Lourdes, en ce sanctuaire pacifique, nous ne l’avons pas oublié, tout au contraire. Nous avons mieux réalisé que l’aboutissement de l’œuvre du Christ n’est pas la domination politique d’un empire mais le don de l’Esprit-Saint qui transforme les libertés de l’intérieur et ouvre chacun ou chacune à tous les autres.
En écoutant le « père et chef de l’Église gréco-catholique d’Ukraine », j’ai repensé, permettez-moi de le dire ici, aux rencontres que j’avais eu le privilège d’avoir les 13 et 14 septembre dernier, accompagné du Secrétaire général de notre Conférence, le P. Hugues de Woillemont, de Mme Sophie Daugérias, Secrétaire générale adjointe, du président du Secours catholique, M. Didier Duriez, avec le Patriarche latin de Jérusalem. Lui aussi, dans le contexte affreusement douloureux créé par les actes terroristes commis par le Hamas en Israël et la riposte militaire qu’ils ont provoquée, essaie de trouver la parole juste et les gestes encourageants pour soutenir ceux et celles qui souffrent, d’un côté comme de l’autre, pour appeler à préserver les chances de la paix, pour rappeler les exigences de la justice, notamment en Palestine et en Cisjordanie. Nous prions pour lui et pour tous les pasteurs de cette région, pour les patriarches et les évêques et les prêtres du Liban aussi, afin qu’il leur soit donné de remplir leur mission au nom du Christ, d’être des figures de Dieu qui, en Jésus le Christ, le Messie d’Israël, vient au secours de ceux et celles qui souffrent en ce monde.
Nous prions pour les morts, pour les blessés, pour ceux et celles qui ont perdu leurs biens les plus essentiels. Nous sommes impressionnés par le déchaînement de violence qui a lieu dans cette partie du monde et par l’absence apparente de recherche de ce qui permettrait de construire un chemin de paix. Nous avons voulu adresser aux chrétiens d’Israël et de Palestine et du Liban un message de proximité fraternelle. Nous n’oublions pas non plus les Syriens qui souffrent depuis des années.
Pendant ce voyage à Jérusalem, nous avions pu rencontrer, sous l’égide de M. Daniel Shek, ancien ambassadeur d’Israël en France, l’épouse d’un des otages français et la belle-sœur d’un autre de ces otages retenus par le Hamas. Rien ne saurait justifier la prise et la détention d’otages, ni en Israël, ni en Ukraine, ni nulle part ailleurs dans le monde. Rien ne saurait justifier non plus qu’un État ne respecte pas le droit international. Il a ses limites, il a aussi ses ambiguïtés, mais il est aujourd’hui ce que les pays du monde ont réussi à construire d’ordre pour éviter que la guerre redevienne un moyen de la politique et que les États se laissent aller à leur tendance à la domination. La première lecture de ce dimanche évoque la veuve de Sarepta, village du Liban ; et l’évangile, la veuve du Temple. La vie, avec sa brutalité et ses douleurs, crée des veuves et des orphelins, des veufs aussi ; mais nous ne pouvons pas nous résigner à ce que des États puissants provoquent des destructions, des veuves, des orphelins, des traumatisés et des mutilés. Le Dieu d’Israël, celui qui envoya Élie trouver de l’aide chez la veuve de Sarepta, ne le permet pas. »
Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France
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