Saint-Étienne-du-Rouvray : lieu d’un martyre, devenu une source pour la Paix
Dans la suite du « Mémorandum de l’entente et de l’amitié » signé le 17 septembre 2019 à Paris par le Grand Rabbinat de France, le Conseil des Eglises chrétiennes et la Ligue islamique mondiale, le Secrétaire général de la ligue islamique mondiale est venu à Rouen et à Saint-Etienne-du-Rouvray, le 15 décembre 2019, pour rendre hommage au Père Jacques Hamel.
Il a d’abord assisté à la célébration de la Lumière de la Paix organisée par les Guides et Scouts de France en l’église Saint-Godard (Rouen). Ainsi, dans une église pleine de jeunes dont des scouts musulmans de France, le Secrétaire général de la ligue islamique mondiale a assisté à une célébration de la Parole au cours de laquelle il a entendu l’Evangile et l’homélie de Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. Il a entendu les Guides et Scouts chanter et prier Dieu notre Père avant de recevoir « La lumière de Bethléem » pour la mener à Saint-Etienne-du-Rouvray.
A Saint-Etienne-du-Rouvray, M. Mohammed Al Issa a entendu le récit de l’assassinat du Père Jacques Hamel, avant de déposer des fleurs à l’endroit de sa mort et devant la stèle à l’extérieur de l’église.
C’est dans la salle paroissiale que Mohammed Al Issa, Secrétaire général de la ligue islamique mondiale, et Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, ont pris la parole successivement pour dire leurs convictions selon leur foi.
Voici les textes de leur allocution.
Discours de S. Exc. Mohammed Abdul Karim Al Issa
Secrétaire général de la Ligue Islamique Mondiale
Mesdames et Messieurs,
Aujourd’hui nous nous tenons ici pour nous rappeler cet atroce crime terroriste qui a ébranlé nos consciences, et qui a coûté la vie au Père Jacques Hamel ; nous nous tenons ici, également pour faire savoir à ce même terrorisme que nous serons toujours solidaires, ses crimes et ses atrocités qu’il engendre ne font que renforcer notre unité et notre cohésion.
Aujourd’hui, ici, musulmans et chrétiens nous nous réunissons pour dire d’une seule voix : « Nous sommes des frères qui s’aiment qui ne laisseront pas ce mal nous déchirer ».
Le criminel terroriste qui a commis cet acte odieux ne représente que lui-même dans sa cruauté, et au-delà de cette infamie, reflète le danger de la négligence vis-à-vis de l’idéologie extrémiste ; cette dernière ne pourra être vaincue que par un travail institutionnel dument réfléchi accompagné d’une détermination inébranlable, d’un haut niveau de conscience, de sincérité et de motivation. Par ailleurs la famille, l’éducation, la sensibilisation et la formation sont d’autant d’éléments qui ont tous un rôle déterminant à jouer dans cette lutte.
L’humanité a trop souffert tout au long de l’histoire des religions et des civilisations de tragédies qui n’étaient au final que le résultat d’une utilisation fallacieuse de la religion ; sachant que la religion du Tout-Puissant n’est venue que pour apporter miséricorde et amour au monde, et certainement pas pour alimenter des conflits ou encore être source de haine, d’animosité et de terrorisme. Nous affirmons tous haut et fort que les religions sont innocentes de ces crimes terroristes tout comme elles sont toutes autant innocentes de tout comportement immoral tel qu’il soit.
En septembre dernier, ici en France, ce pays ami, ont été signés avec nos frères adeptes du judaïsme et du christianisme, « Les accord de Paris pour la solidarité et la paix », à travers lesquels nous avons affirmé notre forte amitié, notre volonté de travailler en partenariat pour promouvoir la paix, l’harmonie religieuse et culturelle, notre nécessaire contribution pour soutenir la cohésion nationale française sous son socle constitutionnel que chacun se doit de respecter, dans le cadre de lois appliquées par tous et d’une culture nationale respectée par tous.
L’extrémisme et le terrorisme n’ont pas de religion. Ils n’ont pas de confession ou encore de nationalité. Ils sont uniquement des porteurs de haine, de mal et de destruction.
Les musulmans ont vécu avec leurs frères juifs et chrétiens tout au long de l’histoire des religions révélées comme des frères qui s’aiment, en comprenant la volonté du Créateur Tout-Puissant dans la différence et la diversité de cette vie sur terre, en réalisant que la religiosité est une conviction propre à chacun, qui ne doit refléter ni contrainte, ni injustice, ni rancune. Bien au contraire les gens se doivent de coexister en tant que frères, auquel cas tout le monde sera perdant, personne n’aura rien à gagner dans les conflits, les luttes et la haine mutuelle, encore une fois, personne n’a à y gagner mais tout le monde a quelque chose à y perdre.
Les musulmans français ont été parfaitement représentés lorsque des soldats musulmans français se sont sacrifiés pour cette France, et s’ils l’ont si bien défendu c’est en tant qu’enfants fidèles à leur patrie qu’ils l’ont fait.
J’ai moi-même été épris d’un grand sentiment de fierté lorsque j’ai eu l’occasion de pouvoir contempler sur l’un des murs de la grande mosquée de Paris, le nom de tous ces soldats musulmans français qui ont sacrifié leur vie pour leur France, ce pays dont ils sont si fiers, ils sont véritablement un modèle à suivre pour les jeunes franco-musulmans car ils symbolisent le vrai visage de l’Islam.
Il ne fait nul doute que la véritable religiosité est porteuse de grandes valeurs humaines tout comme le fait qu’elle contribue manifestement au maintien de la paix et de l’harmonie.
Au même titre que le vrai pratiquant est celui qui aime son pays et lui est fidèle, le vrai pratiquant est celui qui respecte chaque pays dans lequel il vit, il se doit de respecter sa Constitution, ses lois et sa culture.
On dit que : « Celui qui vend et trahit son pays c’est comme s’il volait son propre père afin de nourrir des spoliateurs, au final aucun père ne pourra jamais assez pardonner et aucun spoliateur ne pourra jamais assez dédommager ».
C’est pourquoi je répète une fois de plus que nous sommes ici pour exprimer notre grande douleur causée par cet acte terroriste sans nom et qui nous a tous secoués mais, nous sommes aussi là pour afficher notre détermination à rester unis et à se renforcer par la diversité car notre unité c’est aussi notre diversité.
Et nous sommes intimement convaincus que tous ceux qui vivent en France se doivent de respecter le principe de laïcité qui régit ce pays en vue de protéger les libertés, y compris bien évidement la liberté de culte, car la laïcité – en France – n’est pas contre l’existence des religions, mais au contraire, elle leur permet d’exister, les protège dans leur diversité permettant ainsi tout un chacun de croire et de pratiquer ou non. La France est le pays de la diversité religieuse, culturelle et ethnique dont le socle constitutionnel régit les lois qui s’appliquent à tout le monde.
Aussi il n’est donc pas concevable que la France ait un autre choix de Constitution que celui-ci, à ce titre nous nous opposons à toute chose qui puisse porter préjudice à la cohésion nationale, à son modèle constitutionnel comme par exemple le fait de présenter des listes communautaires dans le cadre des élections ; car ceci en plus du fait d’être contraire au système français, porte pleinement préjudice à l’image des religions, dans la mesure où la religion ne doit en aucun cas être utilisée à des fins politique.
Merci de votre attention.
Discours de Mgr Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen
Selon votre désir, vous rendez hommage au Père JACQUES HAMEL, prêtre catholique assassiné le 26 juillet 2016 par des jeunes hommes se réclamant de l’État islamique. Comment ne pas être touché par la visite en ce lieu du Secrétaire général de la ligue islamique mondiale ? Comment ne pas être touché par vos paroles ? Je vous en remercie très sincèrement. Le Père JACQUES HAMEL était un prêtre très simple, âgé de 86 ans, aimant cette ville pauvre et attachante, servant la Communauté catholique avec amour et vivant dans l’amitié au milieu de personnes croyantes ou non, et bien sûr, en particulier, de personnes croyantes musulmanes.
Avec délicatesse, Excellence, vous vous tournez vers la Communauté catholique. Sans hésiter, je vous accueille comme un ami. Je suis heureux de vous accompagner en ce lieu d’un martyre, devenu une source pour la Paix.
Auparavant, vous avez bien voulu m’accompagner et recevoir la lumière de Bethléem, la lumière que les Guides et Scouts appellent la lumière de la Paix. Quel beau signe d’espérance de recevoir ensemble la lumière de la Paix venu du Moyen-Orient, votre région ! Puissions-nous donc être ensemble artisans de Paix !
La paix du monde adviendra si là où résident ensemble des fils d’Abraham, juifs, chrétiens et musulmans, ils renoncent à se regarder comme des ennemis. La Paix adviendra si, dans tous les pays de monde, leur liberté de conscience, leur liberté de culte, leur liberté de choisir leur religion sont respectées.
À Bethléem est né Jésus. À Noël, les chrétiens l’honorent comme le Prince de la Paix. Il l’est car il est venu réconcilier l’humanité avec Dieu. « Je vous laisse la paix, je vous donne la paix », dit Jésus. « Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne », ajoute-t-il (Jn 14, 27).
La manière du monde, ce sont les armes, ce sont les attentats nourris par la cupidité et les injustices, ce sont les soupçons sur l’autre différent. La manière de Jésus, c’est de s’adresser au cœur de l’homme où germe la paix de son Esprit qui conduit jusqu’au pardon. Au soir de la mort du Père JACQUES HAMEL, je n’ai cessé de me répéter les paroles de Jésus crucifié : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Je demandais à Dieu Miséricordieux de ne pas laisser mon cœur être envahi par les ténèbres de la haine.
Les signes d’amitié de nombreux musulmans, voisins ou plus éloignés, touchent la communauté catholique particulièrement affectée par la tragédie de la mort du Père JACQUES HAMEL. Ces signes l’aident à garder intacte sa décision de vivre dans le dialogue et l’amitié avec toutes les personnes et toutes les communautés humaines et religieuses.
Aujourd’hui, je me souviens de MOUBINE, peintre musulman. Le 28 juillet, il apporte un portrait auréolé du Père JACQUES HAMEL. Il l’a peint dans la nuit et vient l’offrir ; ensemble, nous l’avons vu dans l’église.
Aujourd’hui, je me souviens de la visite de nos amis musulmans à la Communauté catholique rassemblée pour la messe du dimanche, le 31 juillet. MOHAMED KARABILA, BACHAR AL SAYADI et bien d’autres étaient déjà présents.
Aujourd’hui, je me souviens de MOHAMMED NADIM, écrivain algérien musulman. Il écrivit et publia une lettre au Père JACQUES HAMEL, particulièrement émouvante.
Aujourd’hui, je me souviens des nombreux musulmans qui écrivent, viennent ici et signent le livre de condoléances, comme vous l’avez fait, qui devient un livre de Paix.
Demain, Excellence, je me souviendrai de votre visite. Elle ajoute un nouveau chapitre à ces paroles et ces gestes qui apportent consolation et paix à la Communauté. Votre visite s’inscrit dans la ligne du Mémorandum d’entente et d’amitié que le Grand Rabbinat de France, le Conseil des Églises chrétiennes en France, et la Ligue islamique mondiale, représentée par vous-même, ont signé le 17 septembre dernier. À nouveau, je vous exprime ma gratitude.
Meurtrie, la Communauté catholique n’oublie pas les trop nombreuses personnes, de toute confession religieuse, à qui la vie est ôtée de manière violente. Elle n’oublie pas que, parfois au nom de Dieu, des hommes, et aussi des femmes, s’en prennent à ce qu’il y a de plus sacré : la vie humaine. C’est un blasphème.
Le caractère sacré de la vie humaine fait partie de la grande révélation faite par Jésus. En sa personne, sans rien perdre de sa nature divine, l’humanité devient sacrée. La personne humaine acquiert sa plus haute dignité, car elle redevient à « l’image et ressemblance de Dieu », selon l’expression du livre de la Genèse. En recevant leur dignité de Dieu, les hommes deviennent frères.
Excellence, permettez-moi de vous dire que je prie pour votre pays, pour votre personne, pour votre mission. Puisse Dieu Tout-Puissant bénir les efforts de paix et de fraternité accomplis par les hommes et les femmes de bonne volonté sur toute la terre.
Comme l’ont chanté les Anges aux bergers de Bethléem, annonçant la naissance de Jésus : « Gloire à Dieu et paix aux hommes ! » (cf. Lc 2, 14). Soyons des ambassadeurs de la Gloire de Dieu, de sa miséricorde et de sa Paix.
Je vous remercie.