Pèlerins de l’amitié et de la fraternité universelle
Le Pape François vient d’autoriser la signature du décret de béatification de « Mgr Pierre Claverie et ses compagnes et compagnons », dix-neuf prêtres, religieux et religieuses morts dans les années 1994-96 en Algérie, au milieu de très nombreux musulmans algériens. Dans leur texte du 27 janvier 2018, les évêques d’Algérie témoignent des liens de fraternité et d’amitié entre musulmans et chrétiens.
« Notre Eglise est dans la joie. Le Pape François vient d’autoriser la signature du décret de béatification de « Mgr Pierre Claverie et ses 18 compagnes et compagnons ». La grâce nous est donnée de pouvoir faire mémoire de nos dix-neuf frères et sœurs en qualité de martyrs, c’est-à-dire – selon le sens du mot lui-même – de témoins du plus grand amour, celui de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Devant le danger d’une mort qui était omniprésent dans le pays, ils ont fait le choix, au risque de leur vie, de vivre jusqu’au bout les liens de fraternité et d’amitié qu’ils avaient tissés avec leurs frères et sœurs algériens par amour. Les liens de fraternité et d’amitié ont ainsi été plus forts que la peur de la mort.
Nos frères et sœurs n’accepteraient pas que nous les séparions de ceux et celles au milieu desquels ils ont donné leur vie. Ils sont les témoins d’une fraternité sans frontière, d’un amour qui ne fait pas de différence. C’est pourquoi, leur mort met en lumière le martyre de nombre de ceux et celles, algériens, musulmans, chercheurs de sens qui, artisans de paix, persécutés pour la justice, hommes et femmes au cœur droit, sont restés fidèles jusqu’à la mort durant cette décennie noire qui a ensanglanté l’Algérie.
Aussi notre pensée rassemble dans un même hommage tous nos frères et sœurs algériens. Ils sont des milliers qui n’ont pas craint, eux non plus, de risquer leur vie en fidélité à leur foi en Dieu, en leur pays et en fidélité à leur conscience. Parmi eux, nous faisons mémoire des quatre-vingt-dix-neuf imams qui ont perdu la vie pour avoir refusé de justifier la violence. Nous pensons aux intellectuels, écrivains, journalistes, hommes de science ou d’art, membres des forces de l’ordre, mais aussi aux milliers de pères et mères de famille, humbles anonymes, qui ont refusé d’obéir aux ordres des groupes armés. Nombre d’enfants ont aussi perdu la vie emportés par la même violence.
Nous pouvons nous arrêter à la vie de chacun de nos dix-neuf frères et sœurs. Chacun est mort parce qu’il avait choisi, par grâce, de rester fidèle à ceux et celles que la vie de quartier, les services partagés, avaient fait leur prochain. Leur mort a révélé que leur vie était au service de tous : des pauvres, des femmes en difficultés, des handicapés, des jeunes, tous musulmans. Une idéologie meurtrière, défiguration de l’islam, ne supportait pas ces autres différents par la nationalité, par la foi. Les plus peinés, au moment de leur mort tragique, ont été leurs amis et voisins musulmans qui avaient honte que l’on utilise le nom de l’islam pour commettre de tels actes.
Mais nous ne sommes pas, aujourd’hui, tournés vers le passé. Ces béatifications sont une lumière pour notre présent et pour l’avenir. Elles disent que la haine n’est pas la juste réponse à la haine, qu’il n’y a pas de spirale inéluctable de la violence. Elles veulent être un pas vers le pardon et vers la paix pour tous les humains, à partir de l’Algérie, mais au-delà des frontières de l’Algérie. Elles sont une parole prophétique pour notre monde, pour tous ceux qui croient et œuvrent pour le vivre ensemble. Et ils sont nombreux ici dans notre pays et partout dans le monde, de toute nationalité et de toute religion. C’est le sens profond de cette décision du Pape François. Plus que jamais, notre maison commune qu’est notre planète a besoin de la bonne et belle humanité de chacun.
Nos frères et sœurs sont enfin des modèles sur le chemin de la sainteté ordinaire. Ils sont les témoins qu’une vie simple mais toute donnée à Dieu et aux autres peut mener au plus haut de la vocation humaine. Nos frères et nos sœurs ne sont pas des héros. Ils ne sont pas morts pour une idée ou pour une cause. Ils étaient simplement membre d’une petite Eglise catholique en Algérie qui, bien que constituée majoritairement d’étrangers, et souvent considérée elle-même comme étrangère, a tiré les conséquences naturelles de son choix d’être pleinement de ce pays. Il était clair pour chacun de ses membres que, quand on aime quelqu’un, on ne l’abandonne pas au moment de l’épreuve. C’est le miracle quotidien de l’amitié et de la fraternité. Beaucoup d’entre nous les ont connus et ont vécu avec eux. Aujourd’hui, leur vie appartient à tous. Ils nous accompagnent désormais comme pèlerins de l’amitié et de la fraternité universelle ».
+ Paul Desfarges, archevêque d’Alger
+ Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran
+ John MacWilliam, évêque de Laghouat
+ Jean-Marie Jehl, administrateur de Constantine