Pierre Manent, Situation de la France

manent

Pierre Manent, Situation de la France, Paris, Desclée de Brouwer, 2015, 176 pages, 15,90 €

Publié six mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’HyperCacher, le dernier livre de Pierre Manent est venu bousculer nombre de ceux qui s’interrogent sur la compatibilité ou non de l’islam avec la société française. En effet, l’auteur ne propose pas moins d’accepter la présence de l’islam et d’organiser la coexistence publique des religions, et leur participation à la conversation civique.

Comme il le définit lui-même en 4ème de couverture de son ouvrage, en entrant dans la communauté nationale, l’islam est entré dans une nation de culture chrétienne, où les juifs jouent un rôle éminent. Toute politique laïque qui ignore cette réalité court à un échec cuisant et met en danger l’intégrité du corps civique. Il s’agit donc, tout en préservant la neutralité de l’Etat, de faire coexister et collaborer ces trois « masses spirituelles » que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. Pour cela, il propose d’élaborer ensemble un « compromis historique » enraciné dans une observation attentive de la réalité du rapport de la religion avec la société et que le développement important de l’islam en France a reposé avec acuité.

Selon lui, pour l’opinion publique occidentale de 2016, la société est essentiellement l’organisation et la garantie des droits individuels. Pour les musulmans, elle est d’abord l’ensemble des mœurs qui fournissent la règle concrète de la vie bonne. Aussi Pierre Manent ajoute : « Si les Européens se sont gouvernés de moins en moins selon les mœurs et de plus en plus selon la loi et les droits, c’est parce qu’ils ont progressivement édifié cet instrument qui leur est propre, l’Etat », Etat moderne, souverain et libéral, gouverné selon le régime représentatif. Il n’en est pas de même du côté musulman. Les échecs avérés des nationalismes, du socialisme et du « printemps » arabes « laissent l’immense monde arabo-musulman devant l’hypothèse ou la tentation d’une politique qui se confondrait avec la mise en œuvre de la loi religieuse ». D’où ce constat : « Tandis que nous nous efforçons de vivre sans autre loi, ou sans autre règle des mœurs, que la validation des droits sans cesse étendus de l’individu, ils espèrent trouver dans la loi divine un ordre juste que la loi politique ne leur a que trop rarement ou trop chichement fourni » (p. 24-25).

La question qui se pose dès lors à la société française, selon Pierre Manent, est la suivante : « Comment accueillir les mœurs musulmanes en tant que mœurs de nos concitoyens musulmans, sans que ces mœurs finissent par se confondre avec la loi, ou sans qu’elles prennent au bout du compte la place de la loi ? » (p. 28).

Pour la résoudre, il faut se mettre d’accord sur ce qu’est la laïcité qui régit nos rapports humains. Est-ce une valeur qui va permettre l’existence d’une société française « religieusement neutre et dans laquelle la plus grande diversité d’opinions et de mœurs religieuses s’épanouiraient librement, chaque sociétaire pratiquant librement les mœurs de son choix et « reconnaissant » les mœurs différentes des autres sociétaires » (p. 32) ? Ou faut-il se dire que la laïcité à la française, c’est un Etat neutre (ou laïque), une société de mœurs chrétiennes et une nation sacrée ?

La réponse viendra de notre regard sur l’évolution de notre monde où l’Etat n’est plus un Etat fort comme au temps de la rédaction de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Il ne peut donc faire avec l’islam ce qu’il a fait avec le catholicisme ou avec le judaïsme. En 2016, l’islam se présente comme un grand fait social, religieux et politique et donc comme un agent historique majeur dans le dispositif mondial dont trois aspects marquent aujourd’hui particulièrement nos contemporains : l’immigration musulmane, l’influence financière des pays du Golfe sur nos économies et le terrorisme djihadistes. Il faut en prendre acte.

Dès lors, il faut arriver à un compromis qui reposera nécessairement, selon l’auteur, sur deux principes à honorer ensemble. D’une part, les musulmans sont acceptés comme ils sont et l’on renonce à l’idée vaine et passablement condescendante de moderniser autoritairement leurs mœurs. D’autre part, on préserve, on défend, on sanctuarise certains caractères fondamentaux de notre régime et certains traits de la physionomie de la France (cf. p 71). Cela passerait en particulier par l’interdiction de la polygamie et du voile intégral, et par la liberté complète de pensée et d’expression. Cela supposerait également d’entrer dans un mode de vie « européen » qui suppose de la part de tous de reconnaître paisiblement les racines chrétiennes de l’Europe.

Mais ce compromis n’aura de sens que si l’islam est reçu dans une « communauté d’action » qui l’engage et en somme l’oblige à participer à la chose commune, alors que, s’il ne s’agissait que de l’intégrer dans un dispositif sans but commun où simplement les droits de chacun seraient garantis et respectés, ce dernier ne serait que subi (p. 110-111).

La partie n’est pas jouée car l’affaiblissement politique et spirituel de la nation en Europe est sans doute le fait majeur de notre temps. Il faudra de plus que les musulmans de France prennent leur indépendance par rapport aux pays musulmans qui dépêchent des imams, financent et parfois administrent des mosquées (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Arabie saoudite…) et que les chrétiens – et tout particulièrement les catholiques – acceptent de se donner à un corps civique plus grand qu’eux où ils ne commanderont pas mais où ils se reconnaîtront comme une partie, se donnant au tout et, se faisant, donnant au tout un caractère spirituel.

Cette « communauté d’action » sera une « communauté de citoyens » au sein d’une nation qui a été façonnée par une Histoire où l’empreinte judéo-chrétienne est première. Chacun, accueilli avec ses mœurs, ayant les mêmes droits que tous les autres, sera heureux de participer à une action collective, un projet commun de société qui définira la vie de la nation.

Voilà le défi à relever ! Pierre Manent pose les bases d’un riche débat qui ne demande qu’à se développer pour affiner l’analyse et élaborer des pistes constructives. Vincent FEROLDI

Agenda

En dialogue

En Dialogue 18

Le mariage islamo-chrétien

Mariages Catholique-Musulman(e) - cliquez sur l'image

Twitter