Emilio Platti, Que penser de… l’islamisme – forme moderne du radicalisme islamique ?

L-islamisme

Emilio Platti, « Que penser de… l’islamisme – forme moderne du radicalisme islamique – ?», fidélité (Collection « Que penser de… » n°89), Namur, 2016, 117p.

Emilio Platti, fidèle à sa méthode, ne nous convie pas dans ce petit livre (seulement 117 pages) à lire avant tout « sa » thèse, mais à prendre le temps de découvrir quelques clefs de lecture essentielles pour mieux « penser » une réalité complexe.

L’entrée en matière du livre pose d’emblée le problème d’une diversité irréductible de cet ensemble nommé « Islam ». L’auteur rappelle que sous toutes les latitudes et à toutes les époques, on a pu trouver des portions plus ou moins importantes de cette « communauté musulmane » qui proclamaient être les seules à pratiquer « le vrai islam » en récusant plus ou moins violemment les autres. La modernité a même accentué les divisions selon E. Platti, mais il faut en prendre acte car, «si elle veut survivre à la crise actuelle, la communauté musulmane devrait intégrer la pluralité réellement existante dans sa manière de se penser» (p17-18).

Pour bien aborder le phénomène du radicalisme musulman, l’auteur demande même au lecteur de sortir de cette perplexité que lui suggère la diversité de l’islam. Et pour bien cerner l’objet de ce livre, les premières pages sont essentielles (p.6) : « Pour ceux qui se rattachent à ce courant (radicalisme musulman qu’on appelle « islamisme ») il s’agit de revitaliser la communauté musulmane, trop longtemps obsédée par la modernité occidentale » ; pour atteindre ce but, ils mettent en avant une identité simple et la vision d’une communauté homogène, sans pluralité : l’exclusivisme s’en prend ainsi à l’occident mais aussi aux musulmans qui n’adoptent pas cette identité simple et le mode de vie qui en découlerait. Cette manière d’exclure s’exprime sous le mode d’une accusation bien connue : le « Takfîr » ou désignation d’autrui comme « mécréant, incroyant (Kâfir) ». On peut constater, déjà aux origines de ce mouvement religieux qu’est l’islam, que des groupes se séparent en accusant les autres de ne pas être de vrais croyants et en justifiant le meurtre éventuel de ces mauvais musulmans. Les pages 23 à 27 éclairent le lien que font aujourd’hui certains Ulémas entre islamisme jihadiste et ces doctrines qui auraient été celles des Kharijites du 7ème siècle.

Ce radicalisme exclusiviste réapparaît à notre époque de diverses manières, ce qu’E. Platti nous explique en des pages claires : le mouvement de l’Ayatollah Khomeini en Iran qui fut soutenu en 1979 par beaucoup d’iraniens ne partageant pas son programme religieux tout en désirant une vraie indépendance face à l’occident qui exploite les ressources iraniennes (pp. 29-38). La doctrine de Muhammad ibn Abd al-Wahhâb fondateur du wahhabisme qui voyait partout le crime d’associationnisme (Shirk = le fait de mettre des choses ou des personnes au même plan que Dieu). Abd al-Wahhâb exigeait que le musulman accepte, dans une totale soumission, les prescriptions divines et, sans hésitation, le décret de Dieu qui a fixé tout ce qui se passera (pp. 39-52). La présentation de l’un des plus importants maîtres à penser des islamistes aujourd’hui, Mawdudî, est très éclairante, surtout en ce qui concerne le législateur divin (Allah seul législateur) et la quasi impossibilité pour l’homme de faire des lois procédant de prémisses non révélés par Dieu (pp. 53-75). Ensuite (jusqu’à la page 94), on lira avec intérêt ce qui concerne les Frères musulmans, les aspects principaux du programme du fondateur, Hassan al-Banna (p.79-81) et la manière dont l’un de ses disciples, Sayyid Qutb, a particulièrement alourdi le poids de la souveraineté de Dieu sur la vie de l’être humain : « L’être humain n’a donc pas du tout à inventer un mode de vie, ni à ordonner la société d’après sa propre imagination » (p.85) et la religion ne peut pas se réduire à n’être qu’une spiritualité sans régir aussi la vie concrète. L’islam est selon Qutb un système harmonieux qui rend heureux et qui rend la société juste, fraternelle et paisible ; ses principes doivent même servir de base aux sciences humaines par lesquelles l’homme se comprend lui-même, sans quoi, elles perdent toute crédibilité.

On frémit quelque peu en lisant à la page 93 cette remarque de l’auteur : « les synthèses de Mawdudî et de Qutb sont les seules à offrir aux musulmans une vision globale, moderne et cohérente de l’islam, dans sa dimension éthique et morale, un système pratique et concret. En principe, facile à appliquer, s’il n’y avait pas toujours, d’après le dire des jihadistes, une résistance jâhili féroce à combattre (jâhili : venant de l’ignorance – voir pp. 90-92) ». Leurs sympathisants se comptent en millions, rappelle E. Platti, si bien que l’idée nous effleure que tout musulman, aujourd’hui, est sans doute amené, d’une manière ou d’une autre, à se situer par rapport à Qutb ou à Mawdudî.

Ce livre serait incomplet sans une perspective pour envisager une autre manière de penser, différente de l’islamisme. Si comme on l’a compris « la faiblesse majeure du discours islamiste, c’est en effet de nier la consistance propre du créé, de l’histoire, de la culture humaine, de la pensée humaine (…) en niant toute subsidiarité humaine et toute autonomie humaine, de telle sorte que l’homme se trouve écrasé sous une souveraineté divine qui lui enlève toute créativité », on comprend la vive protestation de certains intellectuels musulmans mentionnés par E. Platti (pp.95-98). L’urgence d’opposer un discours alternatif aux islamistes est réel et passe parfois par l’athéisme mais le plus souvent il se fraie un chemin en articulant la tradition musulmane avec une approche anthropologique plus équilibrée.

Il y a aussi place pour une pensée de la fécondité spirituelle de l’islam, comme l’a rappelé Eric Geoffroy et que, selon E. Platti, on devrait approfondir avec Said Nursi (p.103) ou Wahiuddin Khan (p.104). Car il faut sortir du tout politico-juridico-éthique : « l’islam a de quoi faire réfléchir au sujet de l’acte de foi ! »(p.104). « Or l’islam politique s’arrête à l’aspect socio-politique de l’islam et c’est là une réduction terrible qui tronque autant le Coran que les traditions anciennes. D’autant que ces verset de la sourate 17 (v.22-39) où Mawdudî voyait une part du socle « constitutionnel islamique » ne se réduisent ni à des prescriptions, ni à des principes moraux (respect des parents âgés, de l’orphelin, du migrant, du prochain en détresse, de l’indigent, sans orgueil ni insolence) : ils mettent en lumière l’aspect le plus irréductible de l’interpellation éthique: celle « qui brise le carcan de l’enfermement sur soi et de l’autonomie de la personne humaine, (celle qui) la met au défi de s’ouvrir à autrui et en même temps, à l’Autre » (p.107). (Jean-François Bour)

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