Christophe Picard, La mer des califes, Une histoire de la Méditerranée musulmane

La-Mer-des-Califes

Christophe Picard, La mer des califes, Une histoire de la Méditerranée musulmane, Paris, Seuil, Coll « L’Univers de l’Histoire », 2015, 420 pages

Nous avons entre les mains une approche insoupçonnée de l’histoire. En effet, si nous avons une assez bonne connaissance de ce qui s’est passé sur terre, de l’Arabie à l’Espagne, et jusqu’à Poitiers, le rôle de la « mare nostrum » dans l’histoire des empires arabo-musulmans est bien obscur pour nous. C’est vrai que l’histoire elle-même a tout fait pour la mettre à part car elle n’est que très rarement évoquée comme une voie de conquête.

Ceci part d’une situation assez logique : les peuples d’Arabie et du Moyen-Orient sont alors plus intéressés par les mers du sud, le golfe Persique et l’océan Indien sur lesquels ils naviguent depuis longtemps pour le commerce avec cette partie du monde. N’oublions pas que l’accès à la Méditerranée est alors « verrouillé » par l’empire byzantin, comme il le fut précédemment par l’empire romain. Cette mer est donc presque inconnue des tribus qui vont partir à la conquête du monde.

Ce livre doit se lire comme un plaidoyer pour remettre la Méditerranée à sa juste place, après tant d’écrits qui lui donnaient un second rôle dans l’expansion et dans le fonctionnement des califats arabo-musulmans. Il est émaillé de références et de citations pour mieux caler son argumentation quelque peu discordante par rapport aux travaux antérieurs, sans oublier les nombreuses évocations des recherches récentes qui ont permis cette mise à jour de l’interprétation de l’Histoire.

En effet, contrairement aux idées reçues qui nous décrivent les arabo-musulmans seulement comme des pirates sur les mers, les califes de Bagdad, de Cordoue ou du Caire vont concevoir la Méditerranée comme un espace à défendre contre les Byzantins et les cités italiennes. En effet, comment pourrions-nous imaginer qu’ils ne s’intéressent qu’aux voies terrestres, alors que leur vision universaliste les conduirait naturellement vers Byzance et Rome, donc en traversant la Méditerranée ?

Christophe Picard nous apporte la preuve de cet intérêt pour cette mer qui baigne une grande partie de leur empire : il recense les fortifications, ports, mouillages installés tout au long des côtes, autant de repères qui signalent encore aujourd’hui de sa place et de son utilisation dans leur stratégie. Cette préoccupation vint très tôt dans la conquête vers l’ouest : c’est sans doute Mu’awiyya, le futur calife omeyyade, qui construisit la première flotte et s’empara de Chypre en 645. La domination musulmane de la Méditerranée va s’étendre au fil des siècles pour atteindre une position quasi-hégémonique au XIème siècle, avec les Almohades marocains. Des marins, des guerriers et des marchands vont la sillonner en tous sens. Puis, ce sera un lent déclin et, à la fin du XIVème siècle, Ibn Khaldûn fera le constat que la Méditerranée n’est plus une mer musulmane, mais qu’elle est devenue chrétienne.

Derrière cette fresque historique, il y a quelques aspects particuliers que Christophe Picard développe avec talent tout au long de son livre pour nous faire pénétrer dans les détails de cette histoire.

Le premier élément est la source de cette histoire. Si notre connaissance est d’abord alimentée par des récits consignés par des historiens chrétiens, donc de la côte nord, qui voyaient des pirates, sans doute décrits ainsi pour des raisons politiques de l’époque, l’auteur est allé cherché les écrits de l’autre côté, et il nous confirme qu’il y a un foisonnement de récits sur la navigation, les voyages, les conditions de mouillage écrits par les commandants de navires eux-mêmes, sorte de journal de bord, et par des voyageurs, comme un journal de voyage. Ces récits sont riches, documentés, détaillés. Clin d’œil à notre histoire chrétienne : c’est par ce moyen que nous avons une connaissance précise des voyages de saint Paul… Géographes, cartographes et encyclopédistes vont utiliser ces récits pour réaliser des descriptions plus scientifiques.

Ensuite, il nous confirme que le commerce n’a jamais cessé entre les deux rives, ce dont on pouvait se douter, mais surtout, et c’est là toute la nouveauté de ce livre, il nous démontre que les ports de la rive sud n’avaient rien à envier à ceux bien connus du nord : Gênes, Pise, Venise, et s’étaient développés pour apporter à cet empire les ressources qui lui manquaient pour son développement, avec bien sûr la réciproque pour les royaumes du nord qui voyaient arriver des produits qui enrichissaient leurs modes de vie.

Dans sa conclusion, Christophe Picard résume à grands traits cette histoire mal connue en nous rappelant les honneurs qui étaient réservés aux grands amiraux et chefs maritimes qui partaient sur la mer pour porter le djihad aussi loin que possible, ce qui était indissociable de l’activité mercantile et des guerres frontalières, terrestres ou maritimes.

Et l’auteur de conclure pour expliquer notre méconnaissance de ce volet de l’histoire : « Finalement, c’est au prisme des valeurs distillées dans les textes et les cartes qu’ils ont commandés, en grande quantité, aux meilleurs lettrés de l’espace islamique, que les califes successifs ont imposé une Méditerranée islamique, quitte à remodeler et à effacer ensuite la mémoire de leurs prédécesseurs. Peut-être est-ce la raison qui a longtemps éloigné la plupart des historiens de l’Europe latine triomphante d’une Méditerranée médiévale à trois voix ? ».

Denys Bourguignat

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